Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/119

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distance sur des vaisseaux d’un faible tonnage, marchant plutôt à la rame qu’à la voile. Le transport étant aussi coûteux pour les pierres communes que pour les marbres précieux, la tentation d’augmenter la valeur de la cargaison était constante. Outre le prix des pierres, il fallait encore considérer le peu qu’on en pouvait obtenir et l’impossibilité d’acquérir, même en les payant fort cher, des blocs de marbre considérables. Il était donc très avantageux de trouver des pierres toutes travaillées, provenant des ruines d’anciens monuments. Quelle joie de rapporter ces fragments de valeur qui, comparativement étaient d’un poids modeste ! Des colonnes, des chapiteaux d’autres morceaux de sculpture étrangère accompagnaient les quelques tonnes de marbres rares obtenues à grand’peine et à des prix très onéreux.

L’architecte des îles devait, de son mieux, conformer ses plans à l’emploi des matériaux que les vaisseaux lui rapportaient. Il avait le choix ou de placer les quelques blocs de marbres rares, çà et là, parmi les masses de briques et de tailler ces fragments de sculpture de manière à leur imposer la forme nécessitée par la construction ; ou bien de couper les marbres colorés en plaques assez minces pour lui permettre d’en recouvrir toute la surface et d’adopter un style irrégulier, grâce auquel il pourrait introduire les fragments sculptés de façon à les faire valoir. Un architecte uniquement désireux de déployer son talent et sans respect pour les œuvres d’autrui, aurait adopté la première alternative ; il aurait massacré les vieux marbres pour les accommoder à ses plans ; mais un architecte soucieux de conserver de belles œuvres, qu’elles fussent de lui ou d’autres, et estimant la beauté de la construction plutôt que sa propre gloire, aurait fait ce qu’ont fait pour nous les anciens architectes