Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/143

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ces ornements et si elle répond mieux à son but en les possédant. Etudions cette question brièvement et avec franchise.

La principale difficulté pour la résoudre vient de ce qu'elle nous a toujours été mal posée : on nous demande et nous nous demandons nous-mêmes si l'impression que nous éprouvons en entrant dans une cathédrale du XIIIe siècle, au sortir de nos maisons modernes, est une saine et désirable préparation à l'adoration religieuse, mais nous ne nous demandons pas si les constructeurs de la cathédrale ont jamais songé à éveiller cette émotion.

Je ne prétends pas que le contraste entre l'architecture ancienne et l'architecture moderne, que l'étrangeté de forme des édifices primitifs soient aujourd'hui désavantageux, mais je dis que quel soit son effet, ce contraste n'a pu être prévu par l'architecte. Il a essayé d'accomplir une œuvre belle et n'a jamais songé à faire une œuvre étrange : nous nous rendons incapables de juger ses intentions si nous oublions que lorsque cette œuvre fut entreprise elle était entourée de constructions non moins fantaisistes et non moins belles ; que chaque maison d'habitation, au moyen âge, était enrichie des mêmes figures grotesques qui décoraient les portails et animaient les gargouilles des cathédrales. Ce que nous regardons aujourd'hui avec autant d'étonnements indécis que de jouissance artistique, était alors la continuation toute naturelle d'un style d'architecture familier aux yeux qui le rencontraient dans chaque rue, dans chaque sentier. Le constructeur ne put donc pas plus concevoir l'idée de produire une impression pieuse par la réunion des plus riches couleurs et des sculptures curieusement fouillées, que l'architecte d'une chapelle moderne ne peut y songer en édifiant des murs carrés blanchis à la chaux.