Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/212

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plus merveilleux morceau de pure, vigoureuse et magistrale peinture à l’huile du monde entier.

Je soumets ces faits à l’examen des protecteurs de l’Art, en Europe. Dans vingt ans d’ici, on les reconnaîtra et on les regrettera, mais actuellement, je tiendrais presque pour inutile de les signaler, si ce n’est pour démontrer l’impossibilité d’établir ce que les peintures sont, et ce qu’elles furent, dans l’intérieur du Palais Ducal. Je puis seulement affirmer que, pendant l’hiver de 1851, le « Paradis » du Tintoret était encore relativement indemne et que la Camera di Gollegio, son antichambre et la salle dei Pregadi étaient remplies de peintures de Veronese et du Tintoret qui rendaient leurs murs aussi précieux que plusieurs royaumes. Si précieux et si pleins de majesté que, quelquefois, en me promenant, le soir, sur le Lido d’où l’on voit au-dessus du Palais Ducal, la grande chaîne des Alpes couronnée de nuages d’argent, j’éprouvais le même respect pour le monument que pour les montagnes et je pouvais croire que Dieu avait créé une plus grande œuvre en faisant sortir de l’étroite poussière les puissants esprits qui ont élevé ces murs orgueilleux et qui ont écrit leur légende enflammée, qu’en faisant dépasser les nuages du ciel par ces blocs de granit et en les voilant de leur manteau bigarré où la pourpre des fleurs se mêle à l’ombre verte des sapins.