Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monté sur son coursier de bataille, son casque aux ailes de dragon ayant pour cimier une tête de chien qui tombe sur ses épaules ; une large draperie armoriée flotte sur le poitrail du cheval — draperie si bien copiée sur nature par le sculpteur ancien qu’elle semble gonflée par le vent, tandis que la lance du chevalier paraît trembler et son cheval presser le pas, suivi par les nuages qui courent dans le ciel.


Remarquez que, dans cette tombe, sont faites toutes les concessions permises par l’honneur et la dignité. Nous ne discutons pas le caractère de Can Grande, il fut, sans doute, un des meilleurs parmi les nobles de son temps ; mais ce n’est pas là ce qui nous touche. Nous admettons qu’il a été grand, que ses guerres ont été justes, mais nous tenons à juger si ses hauts faits sont bien racontés — avec grâce — sur sa tombe. Or, on ne peut hésiter à y reconnaître la perfection du sentiment et de la vérité.

Quoique très beau, ce tombeau est si peu mis en évidence, si peu envahissant, qu’il sert uniquement à orner le portail de la petite chapelle et qu’il est à peine regardé par le voyageur qui pénètre dans l’église. En l’examinant, on suit l’histoire du mort sur les sculptures de son cercueil : sur son image endormie se lit l’espoir profond en une autre vie.

La tombe voisine de celle-ci montre déjà des traces d’ambition. C'est celle de Mastino II qui commença la ruine de sa famille. Œuvre d’art d’une exécution exquise et raffinée, elle serait parfaite dans sa décoration, représentant Can Mastino aux pieds du Christ et la Résurrection, sans l’introduction d’une Vertu : la Fortitude, placée à l’extrémité du sarcophage sur lequel repose la statue du mort, protégée par un superbe dais carré. Cette Vertu