Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/287

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Le tombeau du doge Andrea Vendramin (Saints-Jean-et Paul) sculpté en 1480, excita l’admiration générale par le prix qu’il coûta et par la délicatesse et la précision de sa sculpture : c’est pourtant un des mauvais produits de l’École; il ne montre ni invention, ni pensée, ses Vertus lui apportent leur grâce froide ; elles sont vêtues comme des déesses païennes ; les dragons ont de superbes écailles, mais n’inspirent aucun effroi ; les oiseaux ont de charmants plumages, mais on sent qu’ils ne savent pas chanter; quant aux enfants, quoique gracieux, ils n’ont rien de l’enfance.


D’un tout autre genre sont les tombeaux de Pierre et de Jean Morosini (Saints-Jean-et-Paul) et de Pierre Bermondo (I Frari) : tous les détails y sont pleins d’une délicieuse fantaisie et parfaits d’exécution ; les anciens symboles religieux y reparaissent : la Madone est de nouveau sur son trône et les légendes saintes décorent les sarcophages. Pourtant, le sculpteur, dans son désir de nous faire admirer son habileté à travailler le marbre, nous présente des paysages, des effets de perspective, des nuages, de l’eau, exhibant, du même coup, la froide précision de son mécanisme et sa vanité. De plus, les personnages ont tous une tendance marquée à prendre des attitudes. Cette tendance qui se manifesta malheureusement chez le Pérugin, détruisit rapidement toute vérité de composition. Le peintre ne chercha plus comment ses personnages avaient dû marcher, ou rester debout, ou exprimer leurs sentiments, mais comment ils pouvaient faire tout cela avec grâce et harmonie.

Entre les mains d’un grand artiste, la posture s’ennoblit, même dans son exagération, — comme chez Michel-Ange, peut-être plus responsable que tout autre de ce malheur ; — mais, chez les artistes inférieurs, cette habi-