Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/286

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les batailles à distance et qui passaient la plus grande partie de leur vie dans la Chambre du Conseil, ne se servirent plus guère de leur bouclier que pour y ecarteler leurs armoiries. Leur orgueil d’État les poussa alors à l’entourer d’ornements divers qui lui enlevèrent toute apparence guerrière. Sur le dais du tombeau Foscari, deux boucliers sont placés sur un cercle, ils sont brillamment garnis de coquilles qui les font ressembler à des ventilateurs, et leur circonférence est ornée de rayons dorés et ondulés comme ceux d'une gloire.

Nous approchons de la période que nous avons indiquée comme étant un progrès visible sur le Gothique corrompu. Les tombes de la Renaissance byzantine unissent une habileté consommée dans le maniement du ciseau à une science parfaite du dessin et de l’anatomie, à une haute compréhension des bons modèles classiques, à une grâce de composition et à une délicatesse d’ornementation dont j’attribue l’inspiration aux grands sculpteurs florentins. On retrouve quelque retour au sentiment religieux dans cette école de sculpture qui correspond, en peinture, à celle de Bellini : on s'étonne seulement qu’un plus grand nombre d’artistes n’aient pas fait dire au marbre, au XVe siècle, ce que Pérugin, Francia et Bellini faisaient dire à la toile. S'ils sont effectivement peu nombreux, c'est que le sculpteur était plus absorbé que le peintre par l’étude exclusive des modèles classiques, complètement opposés à l’imagination chrétienne ; de plus, privé de l’élément pacificateur qu’est la couleur, il se soumettait forcément à un travail mécanique. Les sculptures de cette époque, quelques grandes beautés qu’elles possèdent dans la forme, manquent de but et d’expression : cette école tomba rapidement ; elle se perdit dans une pompe vaine, dans des métaphores sans ampleur.