Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/289

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On voit, en Angleterre, beaucoup d'exemples de ce genre de monuments, mais c’est d’Italie que vint le changement et, c’est là que se montre réellement la transformation d’esprit de la nation. Il y a, à Venise, nombre de beaux monuments semi-animés, avec d’admirables statues, de superbes draperies — spécialement ceux de l’église San Salvatore — mais je ne conduirai le lecteur que devant celui de Jacopo Pesaro, évéque de Paphos, dans l’église des Frari, remarquable non seulement comme un très habile morceau de sculpture ; mais aussi par son épitaphe qui caractérise singulièrement cette époque et confirme tout ce que j’ai pu dire contre elle : « Jacques Pesaro, évêque de Paphos, vainqueur des Turcs dans la guerre, de lui-même dans la paix, transporté d’une noble famille vénitienne dans une plus noble parmi les Anges, repose ici ; il y attend la plus noble couronne que le juste Juge lui donnera en ce jour. Il vécut les années de Platon. Il mourut le 24 mars 1547. »

Le mélange de classique et d’orgueil charnel de cette épitaphe n’a besoin d’aucun commentaire. La couronne est attendue, comme un droit, de la justice du Juge, et la noblesse de la famille vénitienne est à peine au-dessous de celle des Anges. L’enfantillage précieux des « années de Platon » mérite aussi d'être noté.


La statue ne devait pas rester longtemps dans cette posture à demi couchée; cette expression de paix elle-même devint pénible aux frivoles Italiens ; ils voulurent que l’idée de la mort fût tout à fait éloignée. Alors la statue se leva et se présenta à la façade du monument, comme un acteur entrant en scène.

On la voit entourée parfois de Vertus, mais surtout de figures allégoriques : Gloire, Victoire, Génies, Muses, Royaumes vaincus, Nations prosternées, elle réunit