Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/290

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autour d’elle tout ce que la pompe et l’adulation pouvaient inspirer, tout ce que la vanité insolente pouvait réclamer.


Il y a, malheureusement — nous l’avons dit — beaucoup de monuments de ce genre en Angleterre, mais Venise possède les plus surprenants. J'en étudierai deux :

1° Celui du doge Jean Pesaro, aux Frari. Il s’est écoulé beaucoup d’années, nous sommes dans la seconde moitié du XVIIe siècle : la corruption a toujours été croissant et la sculpture a perdu son goût et son savoir, aussi bien que tout sentiment. Ce monument est un amas de scènes théâtrales en marbre : quatre nègres colossaux formant des cariatides, horribles et grimaçants, avec des visages de marbre noir et des yeux blancs, soutiennent le premier étage, au-dessus duquel deux monstres au long cou, moitié chiens, moitié dragons, supportent un sarcophage ornementé sur lequel la statue du Doge est debout, dans son costume officiel, sous un grand dais de métal semblable à un ciel de lit et peint en rouge et or ; à ses côtés sont des Génies et des personnages incompréhensibles portant des armures romaines. Au-dessus, entre les nègres-cariatides, deux êtres hâves, moitié corps, moitié squelette, tiennent des tablettes sur lesquelles est écrit l’éloge du défunt. Mais voici, en grandes lettres dorées, ce qui frappe les yeux :


VIXIT ANNOS LXX DEVIXIT ANNO MDCLIX
HIC REVIXIT ANNO MDCLIX


Nous voilà parvenus, enfin, au contraste violent de la mort défiée par le monument qui prétend apporter la résurrection sur la terre. Il semble impossible que le mauvais goût et la bassesse des sentiments aillent plus loin ; ils sont cependant surpassés par un monument dans Saints-Jean-et-Paul.