Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/319

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de leur expression et l’absurdité de leurs costumes souvent d’une obscénité de détails repoussante.

Dans la tête de Santa Maria Formosa, toutes les dents sont gâtées.


Une dernière fois, reportons-nous en 1423, époque de la mort du doge Tomaso Mocenigo que j’ai toujours indiquée, pour Venise, comme le commencement de son déclin. Pour la nomination de Foscari, son successeur, « LA VILLE FUT EN FÊTE DURANT UNE ANNEE ENTIÈRE ».

C’est dans les pleurs que Venise, dans sa jeunesse, avait semé la moisson qu’elle devait récolter dans la joie ; elle semait maintenant, en riant, les germes de sa mort.

Année par année, elle s’enivra avec une soif de plus en plus inassouvie, à la fontaine des plaisirs défendus, creusant les profondeurs de la terre pour en faire jaillir des sources inconnues jusqu’alors. Après avoir dépassé les autres villes par sa force d’âme et sa piété, elles les surpassa pour l’ingéniosité de son indulgence et les formes variées de sa vanité. Et ainsi que, jadis, toutes les puissances de l’Europe réclamaient les décisions de, sa justice, de même, la jeunesse de l’Europe accourait en foule chez elle, pour se former à l’art de la jouissance et de la débauche.

Il est inutile et pénible de s’appesantir sur les derniers degrés de sa ruine. L’antique malédiction des cités de la plaine pesait sur elle : « Orgueil, abondance de pain, et abondance de paresse ». Par le feu intérieur de ses passions, aussi fatal que la pluie brûlante de Gomorrhe, elle fut dévorée ; elle perdit son rang parmi les nations, et ses cendres remplissent aujourd'hui les canaux de la grande mer morte !