Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/62

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sance. Mais le mal fait par Claude et les Poussins n'est rien en comparaison du désastre causé par Palladio, Scamozzi et Sansovino. Claude et les Poussins étaient des hommes sans énergie qui n'exercèrent pas une réelle influence sur l'esprit humain ; qu'importe que leurs œuvres soient payées cher ? On peut, sans indignation, leur laisser le pauvre rôle de garnir les murs des salons et de servir de thème à des conversations sans valeur. Il n'en fut pas de même pour l'architecture de la Renaissance, élevée au faîte de la magnificence dont elle était capable par Michel-Ange, puis prise en mains par des hommes d'intelligence et d'imagination, tels que Scamozzi, Sansovino, Inigo Jones et Wren. Il est impossible d'apprécier l'étendue de l'influence de cette architecture sur l'esprit de l'Europe, d'autant que, si très peu de gens s'occupent d'étudier sérieusement la peinture, presque tous les hommes à un moment de leur existence, ont plus ou moins affaire à l'architecture. Il n'y a pas grand mal à ce qu'un individu perde deux ou trois cent francs en achetant un méchant tableau, mais il est regrettable qu'une nation en perde deux ou trois cent mille en élevant une construction ridicule. Et ce n'est pas uniquement une perte d'argent ou une conception malheureuse que peut nous faire regretter l'architecture de la Renaissance, mais nous y trouvons le germe initial de certaines maladies des temps modernes : le frelatage exagéré et les classifications inexactes ; l'un détruisant dans la société ses éléments sains ; l'autre rendant inutiles pour nombre de gens nos écoles et nos universités.

Venise, jadis si croyante, devint, dans sa décadence, l'Etat d'Europe le plus corrompu ; comme elle avait été, dans sa force, le pôle central du pur art chrétien, elle fut sur son déclin, la source de la Renaissance. L'originalité, la splendeur des palais de Vicence et de Venise, rendirent