Page:Ruskin - Sésame et les lys.djvu/226

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gées des vignes, dire : « Emparons-nous des renards[1], des petits renards qui pillent nos vignes, parce que nos vignes ont de tendres grappes de raisins. »

Oh ! reines que vous êtes, — ô reines ! — dans les collines et les calmes forêts vertes de ce pays qui est le vôtre, les renards auront-ils des tanières et les oiseaux de l’air des nids ; et dans vos cités faudra-t-il que les pierres aient à crier contre vous qu’elles sont les seuls oreillers où le Fils de l’Homme peut reposer sa tête ?

  1. Allusion à saint Luc, ix, 58 : « Mais Jésus lui répondit : Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête. » Comparez avec la Couronne d’Olivier sauvage : « ces Chasses gardées grâce auxquelles… a été réalisé mot à mot ou plutôt en fait dans la personne de Ses pauvres ce que leur Maître disait de lui-même, que les renards et les oiseaux avaient des demeures, mais que Lui n’en avait point. » (Conférence I, Le Travail.) (Sur le même verset encore, voir Eagles Nest.) Avec cette ingéniosité merveilleuse qui, commentant les Évangiles à l’aide de l’histoire et de la géographie (histoire et géographie d’ailleurs forcément un peu hypothétiques), il donne aux moindres paroles du Christ un tel relief de vie et semble les mouler exactement sur des circonstances et des lieux d’une réalité indiscutable, mais qui parfois risque par là-même d’en restreindre un peu le sens et la portée, Renan, dont il peut être intéressant d’opposer ici la glose à celle de Ruskin, croit voir dans ce verset de saint Luc comme un signe que Jésus commençait à éprouver quelque lassitude de sa vie vagabonde. (Vie de Jésus, page 324 des premières éditions.) Il semble qu’il y ait dans une telle interprétation, retenu sans doute par un sentiment exquis de la mesure et une sorte de pudeur sacrée, le germe de cette ironie spéciale qui se plaît à traduire, sous une forme terre à terre et actuelle, des paroles sacrées ou seulement classiques. L’œuvre de Renan est sans doute une grande œuvre, une œuvre de génie. Mais par moments on n’aurait pas beaucoup à faire pour voir s’y esquisser comme une sort de Belle Hélène du Christianisme. (Note du traducteur.)