Page:Ruskin - Sésame et les lys.djvu/49

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que les rapports de la vie et ce qu’ils mêlent à la pensée d’éléments qui lui sont étrangers excluent et qui permet très vite de suivre la ligne même de la pensée de l’auteur, les traits de sa physionomie qui se reflètent dans ce calme miroir. Nous savons nous plaire tour à tour aux traits de chacun sans avoir besoin qu’ils soient admirables, car c’est un grand plaisir pour l’esprit de distinguer ces peintures profondes et d’aimer d’une amitié sans égoïsme, sans phrases, comme en soi-même. Un Gautier, simple bon garçon plein de goût (cela nous amuse de penser qu’on a pu le considérer comme le représentant de la perfection dans l’art), nous plaît ainsi. Nous ne nous exagérons pas sa puissance spirituelle, et dans son Voyage en Espagne, où chaque phrase, sans qu’il s’en doute, accentue et poursuit le trait plein de grâce et de gaieté de sa personnalité (les mots se rangeant d’eux-mêmes pour la dessiner, parce que c’est elle qui les a choisis et disposés dans leur ordre), nous ne pouvons nous empêcher de trouver bien éloignée de l’art véritable cette obligation à laquelle il croit devoir s’astreindre de ne pas laisser une seule forme sans la décrire entièrement, en l’accompagnant d’une comparaison qui, n’étant née d’aucune impression agréable et forte, ne nous charme nullement. Nous ne pouvons qu’accuser la pitoyable sécheresse de son imagination quand il compare la campagne avec ses cultures variées « à ces cartes de tailleurs où sont collés les échantillons de pantalons et de gilets » et quand il dit que de Paris à Angoulême il n’y a rien à admirer. Et nous sourions de ce