Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/139

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taisie des tableaux faits d’éléments épars. Quand il décrit un paysage, ce n’est pas un paysage quelconque, c’est celui qu’il a vu à tel endroit, en telle saison, à telle heure, par tel effet, comme M. Claude Monet peignant ses Meules et comme Achard devant un paysage, il n’ajoutera pas un brin d’herbe qu’il ne Tait vu et n’ait été en extase devant lui. Il précise : c’est « une heure passée au coucher du soleil parmi les masses brisées de forêts de pins qui bordent le cours de l’Ain, au-dessus du village de Champagnole dans le Jura ».

C’était le printemps aussi, et toutes les fleurs se répandaient en grappes serrées comme par amour ; il y avait de la place assez pour toutes, mais elles écrasaient leurs feuilles, selon toutes sortes de formes étranges, uniquement afin d’être plus près les unes des autres. Il y avait là l’anémone des bois, étoile par étoile, s’achevant à tout moment en nébuleuses, et il y avait les oxalis, troupes par troupes, comme les processions virginales du mois de Marie. Les sombres fentes verticales du calcaire étaient bouchées par ces fleurs comme par une neige épaisse et bordée de lierre, sur ses arêtes, — d’un lierre léger et adorable comme de la vigne ; et de temps en temps un jaillissement bleu de violettes et aux endroits ensoleillés, les clochettes des primevères, et sur le terrain le plus découvert, la vesce, la consoude et le bois gentil et les petits bourgeons de saphir de la Polygala Alpina, et la fraise sauvage, juste une fleur ou deux, tout cela noyé dans le velouté doré d’une mousse épaisse, chaude et couleur d’ambre. J’arrivai à ce moment sur le bord du ravin ; le murmure solennel de