Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/202

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intellectuels. Nous aurons à lutter contre ceux qui voient dans ce sentiment un instinct physiologique et contre ceux qui y voient une opération de la raison. Ce n’est ni l’un ni l’autre. Le sentiment esthétique n’est pas l’aboutissement lointain et obscur d’un instinct sexuel : c’est lui-même un instinct. Cet instinct diffère de tout autre et la physiologie n’a rien à faire avec lui : « On n’a jamais admiré une rose parce qu’elle ressemble à une femme, mais on admire une femme parce qu’elle ressemble à une rose ». Ce n’est pas là non plus l’amour dans le sens supérieur du sacrifice de soi, car cet amour se donne, et dans le plaisir que nous prenons aux plantes, aux flots et aux rayons, nous recevons tout et nous ne donnons rien. C’est encore bien moins le produit d’un raisonnement. Dès qu’on raisonne, l’impression s’enfuit. Par exemple, « dans une plante, toutes les sensations de beauté naissent de notre sympathie désintéressée pour son bonheur, et non d’aucune vue des qualités en elle qui peuvent nous apporter du bien, ni même de notre reconnaissance en elle de quelque condition morale dépassant celle du simple bonheur. Du moment que nous commençons de considérer une créature comme subordonnée à quelque dessein en dehors d’elle, quelque chose du sens de la beauté organique est perdu. Ainsi, lorsqu’on nous dit que les feuilles