Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/282

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Tous les autres travaux nécessitant quelque énergie et quelque application physiques sont également bons. Tout artiste doit être un ouvrier.

Mais en même temps et pour que l’équilibre soit rétabli, tout ouvrier doit être un artiste. Il ne suffit pas que le penseur travaille : il faut encore que le travailleur pense. Peu importe que, distrait par sa pensée, il oublie parfois la régularité machinale de sa besogne, et que, dans sa fantaisie, il cherche à faire plutôt œuvre originale, mais vivante, qu’œuvre rigoureusement conforme à un patron donné.

Je citerai seulement un exemple tiré de la manufacture du verre. Notre verre moderne est admirablement clair dans sa substance, fidèle à son patron dans sa forme, soigné dans sa taille. Nous en sommes fiers. Nous devrions en être honteux. Le vieux verre de Venise était fangeux, sans soin dans ses formes et gauchement taillé, s’il l’était toutefois. Car il y a cette différence entre l’ouvrier anglais et le vénitien que le premier pense seulement à assortir ses patrons, à tenir ses courbes parfaitement exactes et ses bords parfaitement affilés et devient une pure machine à arrondir des courbes et à aiguiser des bords, tandis que l’ancien vénitien ne s’inquiétait nullement si ses bords étaient affilés, mais il inventait un dessin nouveau pour chaque verre qu’il faisait et jamais ne moulait une poignée ou un bord sans y mettre une fantaisie nouvelle. Et ainsi, quoique certain verre vénitien soit assez laid et gauche lorsqu’il a été fabriqué par des ouvriers sans adresse et sans invention,