Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/38

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livres, et vit devant lui le visage d’une jeune fille, d’une Française, souriant dans l’aube de ses seize ans, il en devint éperdument amoureux. C’était une des filles de M. Domecq, l’associé de son père. Elle s’appelait Adèle, et ce nom devint familier aux lecteurs du Friendship’s Offering, car le jeune homme y publiait des vers qu’il adressait à tout le monde, n’osant les adresser directement à la seule lectrice dont il se souciât. Quant à elle, avertie de la passion de ce jeune géologue gauche, de ce troubadour transi, elle ne fit qu’en rire aux éclats. « À chaque occasion bénie de tête-à-tête, avec ma bien-aimée Adèle qui était Espagnole de naissance, Parisienne d’éducation et catholique de cœur, je cherchais à l’entretenir de mes vues personnelles sur l’invincible Armada, la bataille de Waterloo et la doctrine de la transsubstantiation », dit Ruskin dans ses Præterita. Quant à Mme Ruskin, la mère, profondément indignée qu’un bon tory, savant, évangélique et révérant George III, pût aimer une Française et surtout une catholique, blessée dans tous ses sentiments et ses traditions les plus essentielles par cet amour monstrueux, elle s’opposa obstinément à toute idée de mariage. Cette passion sans espoir dura pourtant quatre années, pendant lesquelles sévit sur le frêle organisme de l’enthousiaste et du pen-