Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/39

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seur une terrible crise. Il crut mourir d’amour et écrivit une pièce de vers fort pathétique intitulée : la Chaîne brisée. Mais on ne meurt pas d’amour ; toutes les chaînes se renouent et le plus triste des douleurs humaines, c’est qu’elles ne durent même point. Un beau jour, on apprit qu’Adèle était mariée. On emmena le jeune homme à travers l’Europe, pour qu’il laissât sur les grandes routes un peu de ces douloureux souvenirs et de l’image qu’il gardait au cœur. Il les porta tour à tour sur les bords de la Loire, dans les montagnes de l’Auvergne, dans les galeries de Florence et de Rome, mais sans les perdre. Chaque site lui paraissait vide comme un tableau de paysage dont on aurait effacé la figure qui l’animait ; dans chaque visage souriant entre des milliers de cadres d’or, il recherchait les traits du seul visage qu’il eût voulu retrouver, moins beau mais mieux aimé. Enfin il revit les Alpes et il sembla qu’il renaissait : « Ce n’était pas seulement l’air des Alpes, dit M. Collingwood, mais l’esprit de l’adoration des montagnes qui le sauvait ». Il a conté lui-même, dans ses Præterita, comment une année plus tard, la contemplation de la nature le guérit. Il se trouvait un jour à Fontainebleau encore malade et fiévreux. Il se traîna dans la forêt, s’étendit au bord d’une route sous de jeunes arbres et tâcha de dormir. « Les bran-