Page:Russell - Le Mysticisme et la Logique.djvu/32

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pas qu’une connaissance analytique ; mais, lorsque les canards se jettent à la rivière, la prétendue intuition se révèle infondée et la poule, désemparée, demeure sur la rive.

L’intuition, en fait, est un aspect et un développement de l’instinct et, comme tout instinct, elle est digne d’admiration tant qu’elle demeure dans le milieu ordinaire qui a façonné les habitudes de l’animal ; mais elle perd toute compétence sitôt que le milieu se modifie de façon à réclamer un mode d’action qui ne soit pas habituel.

La compréhension théorétique du monde, qui est l’objet de la philosophie, n’a pas grande importance pratique aux yeux des animaux, des sauvages, ou même de la plupart des hommes civilisés. En conséquence, il est difficile de croire que la méthode hâtive et sans finesse de l’instinct ou de l’intuition y puisse trouver un terrain favorable pour ses applications. Ce sont les modes d’action plus anciens, ceux qui rappellent les lointaines générations de nos ancêtres animaux et quasi-humains, qui font ressortir l’intuition dans ce qu’elle a de meilleur. Lorsqu’il s’agit de la conservation ou de l’amour, l’intuition manifeste souvent (pas toujours, cependant) une rapidité et une précision qui font l’étonnement d’une intelligence critique. Mais la philosophie n’est pas de ces tendances qui révèlent le lien qui nous rattache à notre