Page:Russell - Le Mysticisme et la Logique.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

conçoit le temps comme un tyran qui emporte tout ce qui existe. Dans le domaine de la pensée et dans celui du sentiment, même si le temps est réel, être imbu de son peu d’importance, c’est être au seuil de la sagesse.

On voit immédiatement qu’il en est ainsi quand on se demande pourquoi nos sentiments à l’égard du passé sont différents de nos sentiments en ce qui concerne l’avenir. La différence qui s’y trouve est entièrement d’ordre pratique, nos désirs peuvent modifier l’avenir mais non le passé ; l’avenir est, dans une certaine mesure, soumis à notre volonté, tandis que le passé est irrémédiablement fixé. Mais tout avenir deviendra, un jour, le passé. Si, aujourd’hui, nous voyons le passé tel qu’il est vraiment, il faut, lorsqu’il était encore à venir, qu’il ait été identique à ce qu’il est aujourd’hui, tel que nous le voyons ; et, ce qui, aujourd’hui, est à venir doit être identique à ce que ce sera, tel que nous le verrons lorsque ce sera devenu le passé. La différence qualitative que l’on éprouve entre le passé et l’avenir n’est donc pas une différence de nature, mais seulement une différence relative à nous-mêmes : elle cesse d’exister du point de vue de l’impartialité, et l’impartialité, dans le domaine intellectuel, est cette même qualité de désintéressement qui, dans le domaine de l’action, nous apparaît sous forme de justice et d’altruisme. Celui qui veut contempler le monde