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LA DESPUTIZONS DOU CROISIÉ.


Dit cil qui de croizier n’a cure :
« Je voi merveilles d’une gent
Qui asseiz sueffrent poinne dure
En amasseir .i. pou d’argent ;
Puis vont à Roume ou en Esture[1],
Ou vont autre voie enchergent :
Tant vont cerchant bone aventure,
Qu’il n’ont baesse ne sergent[2].

« Hom puet mult bien en cest payx
Gaaignier Dieu cens grant damage ;
Vos ireiz outre meir lays
Qu’à folie aveiz fait homage.
Je di que cil est foux nayx
Qui ce mest en autrui servage,
Quant Dieu puet gaaignier sayx[3]
Et vivre de son héritage. »

— « Tu dis si grant abusion
Que nus ne la porroit descrire,
Qui vues sans tribulation

  1. Asturie. — « Apparemment qu’il y avait alors dans cette province un pèlerinage célèbre qui n’est plus connu aujourd’hui, ou peut-être que le fablier, par une ignorance trop commune aux poëtes de son temps, aura placé dans les Asturies Saint-Jacques de Compostelle, qui est en Galice. »
    (Legrand d’Aussy.)
  2. Baesse ne sergent, servante ni serviteur.
  3. Sayx, çà, ici, par opposition à lays, là-bas, qu’on lit dans la même strophe ; ou peut-être encore sain, sanus, bien portant, sans se rendre malade. — On sent en lisant ces vers qu’on est déjà loin du siècle qui vit naître les croisades : l’enthousiasme a besoin d’être éveillé. Les paroles de Rutebeuf rappellent involontairement cette impiété de l’empereur Frédéric qui, au retour de l’expédition à laquelle il avait été contraint par le pape, disait quelquefois : « Si Dieu avait connu le royaume de Naples, il ne lui aurait pas préféré les rochers stériles de la Judée. »