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XXIII
PRÉFACE.

mont le fabliau d’Audigier, le Roman du Renart, la légende de Prestre-Jehan, etc. ; mais nulle part il ne fait allusion aux Grecs et aux Romains. Ce n’est pas un fils d’Athènes ou de la ville éternelle, c’est un enfant de Paris.

Mais avant tout Rutebeuf est un homme d’esprit, de cet esprit français qui ne manque pas de profondeur, qui réside souvent dans le trait plutôt que dans la pensée. En effet, il ne recule devant aucun jeu de mots, quelque mauvais qu’il soit, et il n’y a pas de répétition qui lui fasse peur. J’en citerai pour preuve les détestables facéties auxquelles il se livre sur son nom avec une fréquence qui témoigne du charme qu’il trouvait à ce singulier exercice, peu digne d’un poëte de quelque valeur[1]. Souvent aussi son esprit ne s’arrête pas de la sorte à l’épiderme ; le trait qu’il lance frappe fort au contraire, et sait en plus d’une occasion causer de sanglantes blessures.

Rutebeuf, lorsque le sujet qu’il traite lui sourit, quand l’indignation l’anime, quand la colère le transporte, comme, par exemple, dans ses deux pièces sur Guillaume de Saint-Amour, dans ses Complaintes d’outre-mer, dans celle de Constantinople, etc., grandit de toute la hauteur de sa passion. Alors de trouvère il passe poëte ; sa pensée arrive à de belles inspirations, sa poésie prend du nombre, de l’harmonie, de

  1. Voyez, t. I, page 329 ; t. II, pages 25, 67, 225.