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DE L’ESTAT DU MONDE.

Dont il bestornent les quereles,
Et metent ce devant derrière[1].
Ce qui ert avant va arrière,
Car quant dant Denier[2] vient en place
Droiture faut, droiture efface.
Briefment tuit clerc fors escoler
Vuelent avarisce acoler.

Or m’estuet parler des genz laies
Qui resont plaié d’autres plaies.
Provost et bailli et majeur
Sont communement li pieur[3],
Si com convoitise le vost ;
Quar je regart que li provost
Qui acenssent[4] les provostez,

  1. Ce passage est le seul dans Rutebeuf qui soit relatif aux avocats ou aux gens qui en remplissaient l’office. Cela tient à ce que la question sociale, au 13e siècle, ne résidait point dans la justice, mais dans l’opposition contre le clergé. Si notre poëte au contraire eût vécu au 14e siècle, quand le gouvernement fut tombé aux mains des légistes, ces hardis démolisseurs qui répondaient à un procès fait au roi par un procès fait au pape, il n’eût point sans doute manqué de parler plus souvent des avocats, et peut-être, au lieu de quelques vagues satires qu’on trouve çà et là dans ses poésies contre les prévôts et les baillis, nous aurions eu quelque une de ces virulentes et énergiques attaques qui plus tard inspiraient à Ménot, gourmandant du haut de la chaire les seigneurs du parlement (domini de parlamento), ces éloquentes paroles malheureusement enfouies sous une couche de latin barbare : « Aujourd’hui nos seigneurs de la justice portent de longues robes et leurs femmes s’en vont vêtues comme des princesses : si leurs vêtements étaient pressurés, il en sortirait du sang. »
  2. Dant Denier, littéralement : M. Denier ; dominus, domnus Denier. — Nos ancêtres aimaient beaucoup ces personnifications. Ils avaient même, sous le titre de Dan Denier, un fabliau assez célèbre, que j’ai rapporté, pages 95 et suivantes de mon recueil intitulé Jongleurs et Trouvère. On le rencontre aussi dans un des Mss. français de la bibliothèque de Berne.
  3. Pieur, pires ; pejores.
  4. Acenser, affermer, donner à cens.