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ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

royaume de France, « à moins, disait-elle, que le pape ne lui en donnât lui-même la permission. » Par une autre bulle le pape chargea saint Louis de faire exécuter cette condamnation, et le pieux monarque eut la faiblesse d’y consentir. C’est contre cette circonstance que Rutebeuf s’élève avec tant de force, et non sans raison, dans le début de sa complainte et dans La bataille des vices[1].

Guillaume se retira alors dans sa ville natale de Saint-Amour en Franche-Comté, province qui ne faisait point partie du royaume de France, mais qui avait ses comtes particuliers relevant de l’empire[2]. Le pape ne fut point encore satisfait. Trouvant que de là le vieux docteur pouvait diriger l’Université, il défendit qu’on lui écrivît ni qu’on reçût des lettres de lui. Il n’eût plus manqué à la justice romaine que de lui interdire le feu et l’eau.

Bientôt, afin de porter le dernier coup à l’Université, Alexandre IV voulut faire brûler à Paris le livre des Périls des derniers temps, et quelques autres libelles fameux, comme s’exprime sa bulle, en infamie et détractation des frères prédicateurs et Mineurs (lesquels ont été mis récemment par leurs adversaires en langue vulgaire), ainsi que des rhythmes et des chansons indécentes[3]. Ce passage est d’autant plus remar-

  1. Avant la rétractation des autres docteurs le pape, par une lettre (voyez Duboullay, Histoire de l’Université de Paris) datée de la deuxième année de son pontificat, avait déjà prié ce roi de les exiler et de retenir en prison Guillaume de Saint-Amour et Chrétien de Beauvais.
  2. Saint-Amour est aujourd’hui un chef-lieu de canton ayant près de 3000 habitants, et situé à 9 lieues de Lons-le-Saulnier, sur la route de Lyon à Besançon, au pied des derniers anneaux du Jura. M. Abel Hugo, dans sa France pittoresque, dit que cette ville était jadis une place fortifiée, défendue par un château considérable qui appartint en dernier lieu au duc de Choiseul et dont on voit encore les ruines. « Saint-Amour, ajoute-t-il, possédait avant la révolution un des trois chapitres du diocèse de Saint-Claude. On y voit un hôpital, jadis très-renommé, fondé en 1268 par Guillaume, seigneur de Saint-Amour. » Cette dernière assertion est très-certainement erronée, Guillaume n’ayant jamais été autre chose que professeur de philosophie. M. Lequinio de Kerlhay, qui a écrit un voyage dans le Jura, ne parle de la ville de Saint-Amour que pour nous apprendre qu’elle est emprisonnée entre quelques restes incommodes et vilains de ses antiques et caduques murailles. En retour, cet écrivain affirme que la robe des paysannes actuelles de Saint-Amour ne cache la jambe qu’à moitié. Je prie le lecteur de croire que je cite textuellement.
  3. C’est probablement cette phrase de la bulle d’Alexandre IV qui fait