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ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

tenir que le poëte a peut-être voulu, par un terme figuré, désigner tout simplement les sujets du roi de France. Je ne crois pas cette défense plausible ; d’autant plus qu’en ce cas le vers de Rutebeuf, qui à propos des enfants prêtés à Dieu dit immédiatement que ce prêt est inestimable, ne signifierait plus rien. On me permettra donc de regarder comme suffisamment établi le point que j’ai essayé de prouver dans cette discussion.

Je passe à l’examen d’une autre opinion avancée par Legrand d’Aussy à propos de la même pièce. « Je ne doute pas, dit-il, que ce ne soit un jeu dramatique avec son prologue. Le Miracle de Théophile, qu’on a lu ci-dessus, est du même auteur. » Plus loin encore il revient sur cette assertion, range dans la même catégorie diverses autres disputoisons, ainsi que le Diz de l’erberie, et ajoute : « Telles sont les pièces dramatiques du 13e siècle que m’ont fait connaître mes lectures… Je suis convaincu que ce ne sont point là les seuls anciens jeux qu’on trouvera dans les manuscrits si l’on veut y fouiller (ce vœu ne s’est malheureusement point réalisé, et la seule pièce de cette époque, ou même antérieure, qui ait été trouvée depuis, est un fragment d’une Résurrection en vers anglo-normands que j’ai publié (Paris, Techener, 1834) ; mais ceux-ci du moins sont suffisants pour prouver que l’origine de notre théâtre remonte plus haut qu’on ne l’a cru jusqu’ici, et qu’au 13e siècle nous avions déjà des drames, et même des drames de plus d’un genre, etc. »

Cette assertion hardie a effrayé quelques-uns de nos érudits, qui n’ont voulu voir dans le jeu de Robin et Marion, dans celui de Pierre de la Brosse, etc., que des dialogues sans prétention théâtrale. L’honorable M. Monmerqué, dans les réflexions qui précèdent l’édition d’un des jeux qu’il a donnés pour la Société des Bibliophiles, dit : « M. Roquefort fait remonter l’art dramatique parmi nous jusqu’au 12e siècle ; il considère le fabliau d’Aucassin et de Nicolette comme le premier essai de ce genre. Nous croyons cependant impossible de placer ce joli fabliau au nombre des pièces de théâtre. Il consiste dans une narration touchante faite par un ménestrel, qui la suspend par intervalles, tandis que son compagnon chante sur son luth des morceaux de poésie. Ou n’y trouve ni dialogue ni action mise en scène, rien de ce qui constitue l’ébauche la plus imparfaite d’une pièce dramatique. On peut en dire autant des Jeux partis, et par conséquent du fabliau des Deux Bordeors Ribauds, que M. Roquefort regarde comme une esquisse théâtrale. Ces pièces n’offrent point de dialogue ; ce sont deux discours et pour ainsi dire deux plaidoyers qui se succèdent l’un à l’autre, etc. » L’opinion de Legrand d’Aussy me paraît pourtant assez juste. En principe, tout ce qui n’est pas récit pur, tout ce qui s’agite entre plusieurs personnages sous la forme de dialogue et de causerie sort de la route narrative, et constitue le drame à l’état d’embryon ; mais, pour que cela soit