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NOTES

chose théâtrale, il faut encore qu’il y ait action, que le jeu scénique se fasse jour. Or dans les pastorales d’Adam, dans le Miracle de Théophile, etc., on rencontre cette qualité essentielle. Les personnages en effet se meuvent, vont, viennent, agissent : il y a spectacle. Dans les disputoisons au contraire je ne vois rien de ceci : le même personnage peut fort bien remplir deux rôles, qui n’ont d’autre vie que la parole. Enfin c’est peut-être, c’est là même, je crois, le pérystile par lequel nos aïeux ont dû passer avant d’arriver au drame ; mais ce n’est aucunement le temple où siège la divinité. »

Selon moi, Legrand d’Aussy a eu tort de ranger les disputoisons sur la même ligne que les jeux, car ces deux choses sont distinctes. Dans les jeux il n’y a pas d’introduction, l’action se déroule et s’explique d’elle-même ainsi que dans le théâtre actuel. Dès le début des premières (tant il est vrai que ceci n’était point destiné à la représentation, mais uniquement tout au plus au récit ou à la lecture) l’auteur, au contraire, est obligé de placer un prologue où il entre lui-même en scène, afin de pouvoir amener le dialogue entre ses personnages.

Cela posé, je rétablirai ici, mais sans la résoudre, laissant ce point à débattre aux historiens spéciaux du théâtre, une question que j’ai déjà posée à propos du Jeu de Pierre de la Brosse (voyez la fin de la préface de cette publication). La voici :

Les Grecs et les Latins eurent, on le sait, outre leur théâtre public, un théâtre privé dont ils faisaient usage à la suite des festins et dans diverses solennités de famille. Ils possédaient également l’idylle et l’églogue, qui formaient les différentes compositions dialoguées de la narration ordinaire et du théâtre. Ne serait-il point possible que nos aïeux eussent possédé comme les anciens un théâtre de famille et de festins ? que la disputoison eût tenu chez eux la place de l’églogue et de l’idylle, et qu’elle eût été récitée dans certaines occasions ou lue par un ou plusieurs personnages ? Il me semble que cette opinion peut concilier bien des choses, et qu’elle ne force pas à admettre parmi les dra-