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COMPLAINTE DOU CONTE DE POITIERS.

Si estoit : Par sainte Garie !
Miraours de chevalerie
Fu-il tant com il a vescu.
Mult orent en li boen escu
Li povre preudome de pris[1].
Sire Dieux ! où estoit ce pris
Qu’il lor donoit sens demandeir ?
Ne’s convenoit pas truandeir
Ne faire parleir à nelui :
Ce qu’il faisoit faisoit de lui,
Et donoit si cortoisement,
Selonc chacun contenement,
Que n’uns ne l’en pooit reprandre.

  1. Le comte de Poitiers et sa femme firent l’un et l’autre des charités immenses, soit pendant leur vie, soit par leurs dernières dispositions, surtout en faveur des communautés religieuses et des hôpitaux. On peut juger jusqu’où allaient leurs aumônes annuelles par un mémoire qui nous
    reste (Trésor des Chartes de Toulouse, sac 8, no 45), où il est marqué qu’ils distribuèrent, les seuls jours du lundi et du mardi de la semaine sainte de l’an 1267, la somme de 895 livres tournois, qui était pour eux d’autant plus considérable que leurs revenus joints ensemble n’allaient en 1257 qu’à 45,000 livres tournois. De même, en 1268, Alphonse, se préparant à passer en Terre-Sainte, fit distribuer 30 livres tournois à chacun des couvents des Frères Prêcheurs et Mineurs de Toulouse, une somme proportionnée aux Frères Sacs, aux Frères de la Trinité, aux Frères Capistres, aux Frères de Saint-Augustin, aux Sœurs Minorettes, aux Sœurs de la Pouille, etc. Joinville, dans la Chronique qui est relative à la première croisade, dit qu’au moment de quitter la Terre-Sainte le comte de Poitiers emprunta les joyaux de ceux qui partaient avec lui, pour en faire présent à ceux qui restaient. Il raconte aussi le fait suivant, qui prouve que les éloges de Rutebeuf ne sont point exagérés : « En ce point que le Roy estoit en Acre, se prirent les frères le Roy à jouer aus dez, et jouoit le comte de Poitiers si courtoisement que quand il avoit gaaigné il fesoit ouvrir la sale, et fesoit appeler les gentilz homes et les gentilz femmes, se nulz y en avoit, et donnoit à poingnées aussi bien les siens deniers comme il fesoit ceulx qu’il avoit gaignés ; et quant il avoit perdu, il achetoit par esme (par estimation) les deniers à ceulz à qui il avoit joué, et à son frère
    le conte d’Anjou, et aus autres ; et donnoit tout, et le sien et l’autrui. »