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et il leur dit : « Ce n’est pas encore vous qui m’empêcherez de voir la beauté des fleurs et des arbres ». Tout le long de la route, au lieu d’être le maladroit qui soufre de ses deux doigts, il fut l’homme habile, l’épicurien qui jouit de ses deux yeux.

N’élargissons pas nos maux inévitables. Pas de malheur suggéré et artificiel. Il y a toujours en nous des joies multiples et c’est à ces joies qu’il faut nous donner, non aux douleurs. Êtres complexes, penchons-nous pour la cueillir, vers la richesse de nos joies et laissons se faner, négligée, la pauvreté de nos douleurs.

Épicure, mourant d’une maladie, parait-il, atrocement douloureuse, de la pierre, écrivait à son ami Idoménée :

« Je t’écris au dernier et par conséquent au plus heureux jour de ma vie. Je soufre de douleurs de vessie et d’entrailles telles que je ne crois pas qu’on puisse en éprouver de plus fortes. Mais le souvenir de mes dogmes, de mes découvertes, de mes amitiés me remplit d’une joie supérieure où se noient tous les maux de mon corps. »

L’Épicurien arrive à accumuler ses plaisirs, à porter toute son attention sur ses joies, à jouir de tous ses bonheurs d’hier comme de ceux d’aujourd’hui et de ceux de demain. Sous cette immensité de bonheur, il cache les petites douleurs qu’il ne peut éviter, ou plutôt il en fait encore de la joie. Dans cet océan de joie, une goutte d’amertume ne peut qu’augmenter le bonheur en lui donnant une saveur plus piquante.

Ainsi, l’épicurisme bien compris, élevé jusqu’où l’élève Épicure, c’est en effet le bonheur continuel, la liberté d’esprit continuelle, l’indéfectible individualisme.