Page:Ryner - Des diverses sortes d’individualisme, 1922.djvu/26

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n’ai ni trop froid ni trop chaud, je suis un être parfaitement heureux.

Pourquoi suis-je parfaitement heureux ? Parce que le bonheur est l’activité naturelle de tout notre être ; c’est l’activité naturelle et facile de tous nos organes, organes physiques d’abord, organes internes ensuite.

D’après Épicure, les plaisirs du corps sont premiers. Les joies de l’esprit ne peuvent venir qu’ensuite ; elles s’appuient, comme sur une base nécessaire, sur les plaisirs de corps. Notre esprit n’est d’une activité belle et joyeuse que si notre corps a reçu les faciles satisfactions qu’il exige.

Cependant, ces plaisirs de l’esprit, fils des plaisirs du corps, sont des fils plus grands que leurs pères.

Et voici qu’Épicure arrive, grâce à la doctrine de ce qu’il appelle le plaisir constitutif, à supprimer toute douleur.

Nous supprimons d’abord la douleur en satisfaisant les désirs naturels et nécessaires. Mais si, par hasard, nous ne les pouvons satisfaire, pourvu que nous soyons montés jusqu’où monte Épicure, nous restons encore heureux. Si j’éprouve une douleur dans une partie de mon corps, cela ne m’empêche pas d’avoir d’autres organes qui agissent librement et dont je puis jouir. Sur les organes qui agissent librement je porte mon attention au lieu de la donner stupidement à l’organe qui souffre.

Un de mes amis me racontait qu’en chemin de fer il avait eu la maladresse de mal placer sa main et d’avoir deux doigts écrasés par une portière brutalement refermée. Ceci se passait au mois où la saison est la plus belle, aux environs de la Pentecôte, en Normandie ; il revenait vers Paris ; il enveloppa d’un mouchoir ses doigts sanglants