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JUSQU’À L’ÂME

moyen de me payer, la seule chose qui me ferait plaisir… Vous ne voulez pas… N’en parlons plus… Seulement, vous avouerez que je n’ai aucune raison d’aller à Paris.

Blanche. — Si, je veux que vous veniez… Qu’est-ce que je deviendrais toute seule, maintenant que j’ai pris l’habitude d’être soignée, d’être consolée… de voir quelqu’un qui n’est pas méchant ?… Vous le voulez, eh bien ! je ne leur ferai pas de mal, je ne porterai pas plainte… Mais vous n’êtes pas gentil de me forcer… et vous ne savez pas comme c’est pénible ce que vous exigez.

Robert. — Ce qui est pénible, ce sont les fardeaux dont on ne se débarrasse pas tout à fait. Vous aviez un fagot sur l’épaule, vous le laissez descendre jusqu’aux reins… Il semble plus lourd. Laissez-le tomber à terre, lachez la corde et marchez libre de tout poids. Alors vous serez soulagée.

Blanche. — Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

Robert. — Le peu que vous venez d’accorder ne délivre point votre âme du fardeau de la haine. Il faut pardonner tout à fait. Il faut que vous soyez prête à rendre le bien pour le mal.

Blanche. — Oh ! ça, c’est impossible.

Robert. — Pour le moment où vous serez décidée, je vous promets — en outre du soulagement, de l’impression heureuse de débarras, d’affranchissement — la plus inattendue et la plus grande des joies.

Blanche. — Une grande joie… À moi ?… Allons donc, vous vous moquez…

Robert. — Écoutez. Si votre fils vivait…

Blanche, avec élan. — Oh ! oui, ce serait une grande joie… (Se reprenant.) Peut-être… Qui sait ?… Il serait méchant ; ils l’auraient fait semblable à eux.

Robert. — Si votre fils vivait et s’il vous aimait…

Blanche. — Vous voulez me faire souffrir… en me faisant penser à des joies… qui ne sont pas possibles.

Robert. — S’il venait près de vous, s’il sagenouillait devant sa pauvre mère qui souffre. (Il s’agenouille.) S’il vous embrassait… (Il l’embrasse et elle éclate en sanglots.) Ah ! maman, maman, ma pauvre maman !

(Un long silence. Blanche tient Robert pressé contre elle.)

Blanche. — Mon fils, mon amour, mon Robert… C’était toi… Il me le semblait bien, par moments… Mais après, ça me semblait telle-