Page:Ryner - Jusqu’à l’âme, 1925.djvu/37

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aboient, aboient, aboient. Et, quand des gens passent et que la femme leur parle, les chiens aboient plus fort. Alors, n’est-ce pas ? les gens se sauvent… Mais, un jour, passe mon Robert. Il n’a pas peur des chiens, lui. Il les caresse. Et les chiens se taisent. Et on entend les paroles de la femme. Et les paroles de la femme sont aussi douces que les aboiements des chiens étaient méchants.

Robert. — Oui, maman, c’est bien cela. Nos défauts d’esprit sont des chiens aboyants, ils empêchent d’entendre les paroles admirables que notre âme dit à demi-voix. J’ai eu la joie de pénétrer jusqu’à votre âme.

Blanche. — Écoute, Robert… Les chiens voudraient bien m’empêcher de dire ce que je vais dire… Et je sens que je suis toute rouge… Non, je crois qu’il vaut mieux ne rien dire.

Robert. — Parle, maman chérie.

Blanche. — Eh bien ! si nous restions tous ensemble, est-ce que ça ne serait pas plus gentil ?

Robert. — Non. Ce serait imprudent. Nous n’aurions plus le droit d’avoir un mauvais moment. Il faut éviter les situations qui ne permettent pas quelques mauvais moments. (Blanche se laisse tomber assise et se cache le visage entre les mains.) Oh ! n’ayez pas honte, maman. C’est très bien que vous ayez eu cette idée. Il est beau d’espérer trop, un instant, de la nature humaine.

Blanche. — Ah ! mon Robert, tu as toujours raison. (Elle se lève de nouveau, met sur l’épaule de Robert une main caressanle. Elle se penche un peu vers lui.) Je t’aime, mon petit… Et toi, m’aimeras-tu toujours, dis ? Même si je suis un peu méchante quelquefois ? Tu sais, on a des jours où on souffre.

Robert. — Je t’adore, maman. Je te consolerai quand tu souffriras. (Souriant.) Quand les chiens voudront aboyer, je les caresserai pour les faire taire. J’en serai bien récompensé, puisque j’entendrai la voix pénétrante de ton âme, puisque, devant moi, tu seras toujours toi.

Blanche — Oui, Robert, aime-moi bien… et aide-moi toujours à être moi.


RIDEAU.