Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/101

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les femmes blanches et noires qui parlèrent à mon tibia. Je savais trop que mon côté humain lui paraîtrait folie, l’attristerait inutilement. Mais j’étais bien triste moi-même de ne pouvoir me dire tout entier au plus aimé et au plus aimant des êtres.

Parfois cette tristesse s’accablait — comme d’un fardeau sur un fardeau — du sentiment que notre amour était incomplet. Mais je cachais avec un soin tremblant ma « folie des ailes. »

Je suis allée souvent, à ces heures de mélancolie, visiter le cimetière où mon corps faillit agoniser dans l’abandon. C’était, non loin de la fourmilière, à cinq pas d’homme, une clairière entourée d’herbes hautes. Un plant de fraisier se dressait au milieu, frémissait seul sur les rangées de cadavres qui séchaient, étendus sur le dos, en une immobilité définitive.