Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/114

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aimée, comme tu veux tuer celle-ci qui est peut-être aimée ailleurs.

Elle me bouscula, disant :

— C’est une étrangère ! Je revins à la charge :

— C’est peut-être l’Aristote de l’autre nid. Elle répliqua :

— C’est une étrangère ! J’insistai :

— En quoi une étrangère est-elle moins fourmi que toi ? N’a-t-elle pas, comme toi, des antennes toujours frémissantes de mille joies, de mille douleurs, de mille pensées ? N’a-t-elle pas, comme toi, des yeux à facettes, éponges à boire toute la beauté environnante ?

Une bousculade brutale mit en déroute ma shakespearienne énumération, et les antennes répétèrent :

— C’est une étrangère !

Mais je m’attachai à mon amie, désespérément. Et je continuai :

— C’est, comme toi ou moi, un trésor de vie. Pourquoi le détruire ?

— C’est une étrangère !

J’avais retardé la marche d’Aristote. Plusieurs maintenant la devançaient. Elle s’en aperçut, et sa colère devint violente :

— Imbécile, tu me mets en retard !

D’une bourrade irrésistible, elle se dégagea et