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XVII

Peut-être devrais-je dire en une fois tous tes souvenirs guerriers de ma vie de fourmi. Ils me sont trop pénibles. Je souffre trop en songeant que l’enrichissement des joies communes, que la beauté plus opulente de l’univers ne nous rendent pas moins cruels et que l’esprit peut s’abreuver de bonheurs sans répudier l’absurdité laide de tuer de semblables instruments de bonheur.

J’aime mieux me reposer un instant à retrouver mes pacifiques travaux. D’ailleurs, il me semble que je suivrai ainsi l’ordre chronologique et que beaucoup de temps s’est passé entre les deux alertes que je viens de conter et les véritables guerres que nous eûmes à soutenir.

Il me semble… mais je n’affirme pas. Pour mon esprit humain, toute ma vie de fourmi est une monotone mer d’oubli sous une nuit sans étoiles. De vagues îles de rêve y flottent, presque inabordables, agitées et comme mises en fuite par mes mouvements mêmes pour en approcher. Je ne sais comment fit Apollon, quand il fixa la flottante