Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/200

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de la fécondation, on guetterait avec soin et on recueillerait quelques femelles égarées.

Oui, mais comment attendre ? comment traverser sans provisions la pauvreté de l’hiver ? Quand reviendrait le sourire tardif du printemps, la faim aurait-elle épargné une seule d’entre nous ?

Et Aristote gourmandait notre lâcheté. Certes, avouait-elle d’un air de dédain, nous serions pauvres ; certes, nous souffririons. Mais, à force de travail et d’ingéniosité, nous trouverions le nécessaire. Il fallait d’abord ébaucher la ville, qu’on achèverait plus tard ; puis, avant les premiers froids, chercher, glaner, engranger. Pendant l’hiver même, on ferait de fructueuses expéditions souterraines ; on traquerait dans leurs refuges les insectes endormis. Enfin, affirmait-elle, les obstacles qui paraissent les plus invincibles à la stupeur première s’abaissent comme d’eux-mêmes sous l’effort actif, persévérant, indéfectible, d’une courageuse volonté de vivre. Et elle vantait, hautaine, la vie difficile, la déclarait belle comme une bataille sans trêve et continuellement victorieuse.

Hannibal disait les mêmes paroles vaillantes. L’une après l’autre, sans conviction, sans plaisir, uniquement parce que, dans notre stupeur, dans notre accablement comme endormi, leurs discours réveillaient de vieilles habitudes machinalement actives, nous nous mîmes à la besogne. Le lieu de la future patrie fut choisi, mauvais, perdu dans