Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nous courions, sans but. Le voyage des funérailles durerait, sans doute, jusqu’à la mort des porteuses, mais nous ne pouvions vivre auprès de morts immobiles.

Cette folie dura plusieurs jours, nous harrassant toutes, nous privant de sommeil, nous agitant d’épouvantés. Quand nous portions un cadavre, nous fuyions précipitamment, poursuivies par des images vagues et farouches. Quand nous nous reposions, nous suivions les porteuses de loin, malgré un violent désir de les éviter, comme attachées à elles par un lien indénouable et entraînées par leur marche irrésistible.

On mourait innombrablement. L’heure vint où chaque vivante eut son cadavre à porter. Quand la fatigue écartait nos mandibules, faisait tomber le faix funèbre, nous restions auprès, haletantes, aspirant au moment où nos membres douloureux pourraient de nouveau nous traîner, alourdies du poids meurtrier.

On mourait toujours. Les porteuses maintenant étaient moins nombreuses que les fardeaux. Nous portions un cadavre et nous enjambions des cadavres et nous nous heurtions, terrifiées, à des cadavres. La cité était une cité de mort.

Des cadavres, des cadavres, partout des cadavres ; dans les salles, dans les galeries, dans nos provisions, des milliers de cadavres. Et, parmi ces cadavres qui encombrent toute la ville, cinq ou six