Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/32

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m’attachait à la baguette. La fée voulait que, tout de suite, malgré mon anéantissement, je regarde ; que, tout de suite, je sache que l’univers de l’homme n’est pas l’univers unique et nécessaire, mais que ce sont nos yeux qui créent notre monde. Elle voulait que désormais ces termes philosophiques « relativité de ia connaissance », que j’avais prononcés mille fois comme vous tous, fussent pour moi autre chose que des mots.

Je n’avais point de paupières pour me protéger contre le monde affolant qui, malgré moi, entrait en moi. Et mon regard, au lieu de dire seulement ce qui était en avant, me criait confusément tout l’impossible qui m’entourait.

Les lois du langage me forcent à détailler ma stupeur, à en faire, pour ceux qui me lisent, des étonnements séparés, successifs, amusants peut-être. Leur simultanéité les rendait écrasants. II n’est pas désagréable de boire à petits coups, à loisir. Le noyé en qui l’eau entre irrésistible par tout ce qu’il y a d’ouvert en lui suffoque et meurt. Je m’étonne de n’être point mort au moment où, comme dans un milieu irrespirable, je fus plongé suffocant dans cet autre univers.

Songez, d’ailleurs. Je ne pourrai vous dire que le moins extraordinaire, vous faire boire que le moins asphyxiant. Dans les impressions d’un autre animal, tout ce qui est vraiment singulier, puissamment caractéristique, sans analogue avec