Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/37

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s’écartaient et se rapprochaient comme pour des cataclysmes. Après de longues réflexions terrifiées, je devinai que ces gouffres mouvants étaient les bouches des deux êtres et que la fée causait avec Péditant. Mais j’étais effaré de ne rien entendre de cette conversation qui, me semblait-il, eût dû gronder comme un tonnerre articulé. Leur causerie discrète dépassait, — je le compris plus tard seulement, — ce qu’un physicien appellerait le maximum audibile de la fourmi. J’étais sourd à tous les bruits perceptibles pour l’homme, trop forts pour moi. Et j’entendais énormes des murmures trop faibles que la grossière oreille humaine ne saurait recueillir.

Dans les veines de la main sur laquelle je m’agitais, le sang coulait avec un fracas de torrent. Quand je m’éloignais du tumulte assourdissant, quand je me réfugiais sur la baguette silencieuse, cette heure de midi, accablement si calme pour les hommes de la campagne, se peuplait soudain de cris, de crépitations, de frémissements.

La douce odeur de thym et de lavande que répandait la fée et qui fut un charme à mon odorat humain, à présent m’était intolérable, comme m’eût été intolérable, l’instant d’auparvant, l’odeur d’un charnier.

J’aurais voulu crier à ma persécutrice :

— Laisse-moi, je vais mourir. Puisque me voilà fourmi, laisse-moi vivre ma vie de fourmi… Oh !