Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/60

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à soupçonner l’incomparable richesse du langage antennal.

Mais les points qu’une fourmi tient à préciser sont bien rarement des détails qu’un homme eût remarqués. Le même objet ou le même fait, analysé selon les deux méthodes, produit deux objets ou deux faits mille fois plus différents que votre veille la plus raisonnable et votre songe le plus affolant. Les éléments atteints par une méthode sont d’un autre ordre que ceux atteints par l’autre méthode. Or chaque objet est un microcosme qui reflète l’ensemble de l’univers ; chaque fait, par ses causes et par ses effets, contient l’histoire des mondes.

Essayez de nourrir le mouton de viande, et d’herbe le lion ; mais n’essayez pas d’introduire une pensée de fourmi dans un esprit d’homme. Mes comparaisons pour dire cette impossibilité sont des anémies ; le mouton peut voir votre viande, le lion peut voir votre herbe ; la pensée de la fourmi n’existe pas plus pour votre cerveau que pour votre œil les rayons ultra-violets.

Je le sais trop. J’ai souffert si souvent de ces deux pensées qui se disputaient sans s’entendre, en un perpétuel et irréparable quiproquo : ici criard comme la surdité, là gesticulant comme le délire. Je souffrais de l’impossibilité de comparer, de l’impossibilité de ramener à l’unité. La course