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Page:Ryner - Le Présent du berger, paru dans Le Radical, 17 mai 1914.djvu/5

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Depuis dix ans, depuis « le malheur », il ne pouvait plus, il savait qu’il ne pourrait jamais plus tirer sur les cordes qui étalent ou replient la voile claquante ; il ne pouvait plus, il savait qu’il ne pourrait jamais plus, sur la mer calme, agiter les rames comme des bras de nageur et faire glisser la Bonne-Mère, blanche, lente et harmonieuse comme un cygne. Mais depuis un mois, sa tristesse s’était alourdie en désespérance ; depuis un mois, les rêves consolateurs ne revenaient plus.

Après ce qu’il appelait toujours d’un terme vague, « le malheur », après l’accident qui avait nécessité l’amputation du bras droit, Bernard Londas, privé de son métier de pêcheur, s’était demandé non sans angoisse comment il gagnerait sa pauvre vie. Il se sentait incapable de se plier aux domesticités. D’ailleurs, à son âge et avec son infirmité,