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arrien, se tournant vers Porcus

Conte-moi ce que tu as répondu au préteur qui t’annonçait l’ordre d’exil.


porcus

Je lui ai dit, avec tout le mépris que mérite un homme moins riche que moi : « Le véritable exilé, c’est toi, qui es pauvre. Moi, avec mes richesses incalculables, je serai heureux partout ; je serai partout dans ma patrie. Car la patrie de l’imbécile porte un nom de ville ; mais la patrie du sage s’appelle Volupté. Partout mon argent me donnera du poisson, des viandes farcies, des femmes grasses et la vénusté sobre des éphèbes.


arrien

Qu’a répondu le magistrat ?


porcus

Que pouvait-il répondre ?.. Il a baissé la tête. Puis il a soupiré : « Ô Caïus Trufer, tu es heureux. Mais César peut t’envoyer l’ordre de mourir et de le faire ton héritier. Si je lui donne ce conseil utile, il me le paiera sans doute d’une portion de tes dépouilles. » J’ai compris. J’ai jeté sur les dalles de l’or retentissant. Et j’ai dit : « Ramasse ce qui tombe de l’auge trop pleine de Porcus. » Le préteur, ayant recueilli les monnaies nombreuses, m’a embrassé. Puis il m’a parlé noblement, en brave homme. Il affirmera à César que je l’aime et que je prie pour lui ces dieux auxquels je ne crois point. Il me fera promptement revenir dans la Ville. En échange, je lui donnerai de l’or, je l’inviterai à mes festins et je lui livrerai parfois, jeune femme ou éphèbe, un esclave dont la vue et le contact n’exciteront plus ma virilité.

Une voix éclata derrière les philosophes. Elle disait :

— Ô Epictète, ô Arrien, ô Porcus, avouez qu’aucune époque ne fut semblable à celle-ci.