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deviendront chrétiens par le baptême du sang. Et ce n’est pas mon âme seule, c’est un bouquet d’âmes qui montera vers toi en offrande odorante.


historicus

N’oublie pas la promesse et tais-toi.

Théophile prie en silence.
La foule, de plus en plus nombreuse, pousse des cris variés. Elle semble hésiter, divisée encore. Mais, tout à coup elle s’unit en une clameur formidable :

Mort aux chrétiens ! mort aux juifs !

Puis les paroles sont diverses, quoique toutes haineuses. C’est pourtant moins terrible que la clameur unanime. Écume qui brille sur la noire houle de démence et de meurtre, quelques mots jaillissent distincts jusqu’aux chrétiens et aux philosophes.

Mort aux ennemis des dieux !

Parmi les mille cris indiscernables qui grondent en tempête, celui-là s’élève, isolé d’abord et unique, donnant à l’orage un verbe. C’est comme le chant d’une voix au milieu des instruments retentissants. C’est le coryphée qui se détache d’un chœur de bacchants et qui va donner une direction précise au tumulte dionysiaque. Bientôt, en effet, le cri est répété, d’ici, de là, multiple et fécond. Il rallie enfin la foule des violences. Et c’est, de nouveau, l’effroyable clameur universelle :

Mort aux ennemis des dieux ! mort aux ennemis des dieux !

Le chœur, maintenant, a trouvé, avec la plus forte parole de haine, le rythme le plus meurtrier. Et il répète, obstinément :

Mort aux ennemis des dieux !

Une partie de la foule avance. Il semble qu’on voie, sur une mer démontée, des têtes d’animaux féroces. Ces hommes ayant dépouillé leur masque de civilisés, les faces bestiales hurlent, éloquentes comme des museaux de tigre, la soif du