Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/207

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Elle sentait bien, la pauvrette, que, malgré la main de pitié vague qui caressait sa main peureuse, le poète n’était plus là. Elle l’appelait inutilement ; elle cherchait en vain son regard. Lui, cependant, perdu dans un songe lointain,

Sur le fond de la nuit vit ces fresques mouvantes.

L’éternité telle qu’il la comprend, c’est un grand mouvement cyclique et ce qui le frappe le plus dans la Nature, c’est son évolution. Il semble parfois, darwinien éperdu, appeler Nature l’histoire elle-même. Il lui crie : « Ô nature,

…Je vois la terre et l’onde à tes époques neuves,

Les édens primitifs, et les cycles barbares,
Et les grands peuples roux campés au bord des fleuves
Où déjà vers la mer descendent leurs gabarres.

… Je vois s’enfler la voile au fond de l’estuaire ;
Puis, derrière, au lointain, du côté de la plaine,
Surgir, fondre et passer, l’ouragan pour haleine,
Dans l’éclaboussement du sang crépusculaire,

Et droits sur leurs chevaux cabrés qu’un rut enlève,
Tes grands conquérants noirs, au profil surhumain,
Qui, déployant leur geste avec l’éclair d’un glaive,

Engouffrent dans la nuit leurs cavaliers d’airain.

D’un geste à chaque instant varié, et toujours noble, et toujours évocateur, il nous montre les