Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/372

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souplesse infiniment mouvante et continûment créatrice de la pensée vraiment libre. Par la volonté de marbre, il est une statue grecque ; mais la pensée lui donne, avec le mouvement, la polychromie souriante de la vie.

Cet individualisme est un héroïsme à la fois intellectuel et moral. Nul n’a le droit de le proclamer s’il n’est prêt, pour conserver sa dignité et sa spontanéité, à tous les renoncements économiques. Je ne parle même pas de l’ignominie des honneurs et je néglige de dire notre mépris pour quiconque se distingue des autres par des signes qu’il a platement reçus des autres et porte — petite ou grande livrée — une décoration ou un habit à palmes vertes. Notre individualisme est un orgueil assez fort pour tuer en nous toutes les vanités. Il se suffit à lui-même et les enfants incurables au milieu desquels nous vivons ne peuvent rien pour nous ou contre nous : qu’ils nous les offrent ou nous les refusent, leurs joujoux nous font rire.

Affranchis des servitudes matérielles et morales, des espérances, des craintes et des dogmes, seuls nous avons la vraie liberté. Nous vivons sur un sommet dont rien ne nous ferait descendre, non pas même le froid de la solitude com-