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Page:Séance de l’Académie Française du 24 janvier 1918.pdf/13

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ne serait-il pas obscurci par toutes les tristesses associées à l’évocation de son nom, un nom qui n’a pu être prononcé pendant quarante-quatre ans sans que surgit aussitôt l’image de la patrie en deuil ? Fatalité, tel est le mot qui résonnait à notre oreille pendant que nous considérions l’homme et que nous récapitulions son histoire. Fatalité, la réalisation éphémère, l’écroulement soudain d’un des plus beaux rêves politiques qu’on eût faits depuis la Révolution. Fatalité, le concours de circonstances qui porta à la tribune, pour y pousser le cri de guerre, le seul peut-être de nos hommes d’État qui eût toujours voulu la paix. Fatalité, le ricochet mortel d’un mot inoffensif, du mot léger qui écrase, du mot qui, semblable à la particule solide tombant dans une solution sursaturée, avait instantanément cristallisé contre lui tout ce que dix-huit d’années d’Empire soulevèrent de ressentiments, de haines et de colères. Ah ! jamais le sort ne fut plus perfide, jamais les événements ne se moquèrent plus cruellement d’une volonté humaine ! Émile Ollivier s’en rendait mélancoliquement compte. Il disait que son ministère n’avait pu forcer le destin. Et il en résumait l’histoire dans cette magnifique image : « Les ministres du 2 janvier rappellent les musiciens de Roméo et Juliette, qui avaient été conviés au festin de noces, et qui arrivèrent pour chanter les complaintes de la sépulture. »

C’étaient pourtant des fées bienfaisantes qui