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MARIE DAUGUET




Mme  Dauguet, née Marie Aubert, naquit le 2 avril 1860 à Lachandeau (Haute-Saône). Élevée très librement, en pleine nature, c’est à la nature que sont allés tous ses goûts et c’est de la nature encore qu’elle reçut le meilleur enseignement. Elle avait quinze ans lorsque son père alla s’établir au Beuchot, une vieille usine un peu perdue dans un coin du pays vosgien : des forêts, des marais, des herbes folles ; une nature vigoureuse et rude, et dont nous retrouverons tous les aspects, tous les bruits et tous les parfums, des plus sauvages aux plus subtils, dans les vers qu’elle fera plus tard. — C’est là qu’elle a vécu depuis, faisant à Paris de courtes apparitions ; c’est là qu’en 1888 elle épousa M.  Dauguet, un ami d’enfance dont la tendre affection et la large sympathie ont créé pour elle une atmosphère de confiance dans laquelle elle a pu, comprise et encouragée, développer toutes ses hautes et rares facultés de sensibilité et d’expression.

« Ma curiosité est universelle, m’écrit-elle, j’ai soif de comprendre et je crois aimer presque autant la science, les sciences naturelles, que l’art. J’ai gaspillé beaucoup de temps en dilettantismes divers, allant de la physiologie à la botanique ; intéressée par les plantes, les bêtes, tout ce qui est la vie ; partageant mes heures entre les champs, les jardins, les étables, la peinture, la musique et les livres. »

Elle ne songeait pas encore à écrire. Cependant ni les livres, ni la peinture, ni la musique ne suffisaient à l’absorber tout entière, il y avait de l’inquiétude en elle, un sentiment vague, un besoin quelque peu inconscient d’exprimer quelque chose, des sensations, des émotions, des idées. Tout cela l’opprimait et la mettait dans un état de véritable détresse morale. Et voilà qu’un jour, « un hiver de tristesse et de lassitude », en marge de dessins qui ne la satisfaisaient pas, elle crayonna quelques vers : c’était le Bon Rouet, une des jolies pièces de À travers le voile, le premier recueil de Mme  Marie Dauguet. Cette fois, elle avait découvert le verbe qu’il lui fallait. Elle n’abandonna point pourtant la palette et son piano ouvert l’attirait toujours. — « Je me suis jouée beaucoup de mes poèmes avant de les écrire », — dit-elle. Cela n’explique-t-il pas l’harmonie particulière, la musicalité très grande de ses vers !

Ayant demandé à Mme  Marie Dauguet quelques renseignements sur ses goûts, sur son idéal artistique et personnel, très franchement, sans fausse modestie, avec une sincérité absolue, elle m’a répondu :

« Mon idéal ? Deviner un peu de l’énigme du monde à travers les apparences : lignes, formes, couleurs, parfums, synesthétique vibrance de la Vie. Poursuivre la beauté qui résulte des phénomènes et lui demander son secret. Je suis un miroir amoureux de ce qu’il reflète ; et qui pense…

« Mon idéal ? Jouir infiniment de la vie, avec une chair, avec un cœur tout à la fois mystiques et païens ; l’accepter avec courage tout entière, la chanter passionnément et croire que l’artiste ayant ainsi fait son devoir peut se consoler de mourir s’il emporte au front un brin de laurier ou un rayon de gloire.