sentira, elle saura le dire avec cette facilité qui est bien une des caractéristiques du talent féminin.
Or, précisément, le moment où la femme s’apprête à conquérir une situation prépondérante dans la poésie française, où le nombre des poétesses croît dans une proportion inconnue jusqu’alors, où chaque volume de vers qui paraît d’elles affirme la souplesse et la richesse de leur inspiration, — ce moment n’est-il pas bien choisi pour publier une anthologie ? — La place faite aux productions féminines dans les précédents ouvrages de ce genre était vraiment trop mesurée. Beaucoup de poétesses qui ne jouissent pas d’une tapageuse renommée, offrent néanmoins un très réel intérêt. On les a trop systématiquement oubliées. — Je ne parle pas seulement pour les disparues ! — J’ai donc cru opportun de réunir quelques-unes de leurs meilleures poésies. Ainsi, on pourra juger d’ensemble tout l’effort poétique des femmes, depuis la formation de notre langue jusqu’à nos jours. En comparant les anciennes avec les contemporaines, on verra en quoi diffère l’idéal des unes et des autres. De Marie de France, — en passant par Louise Labbé, Mme Dufrénoy, Mme Desbordes-Valmore, — à Hélène Picard, Hélène Vacaresco, Renée Vivien, Marie Dauguet, Gérard d’Houville, Lucie Delarue-Mardrus, Mme Fernand Gregh, Mme Catulle Mendès, Mme de Noailles… c’est toute l’évolution de l’expression poétique et du sentiment féminin que l’on aura le moyen de suivre pas à pas, œuvre par œuvre, de siècle en siècle.
Et puis, au moment où la femme va devenir, dans les lettres comme dans la vie sociale, la rivale de l’homme, ne convient-il pas de dresser le bilan, d’inventorier — si l’on peut dire, — son trésor poétique. Les temps sont arrivés où chacun va réclamer le bénéfice de son apport personnel. En attendant le divorce définitif, qui se réalisera tôt ou tard, en attendant l’ère annoncée par Alfred de Vigny, où
Les deux sexes mourront chacun de son côté,
il faut procéder à la séparation des biens.