Peut-être, en feuilletant cet ouvrage, les poètes souriront-ils, — d’un sourire tranquille et quelque peu dédaigneux. De ce qu’un Ronsard, un Du Bellay, un Racine, un Corneille, un Molière, un La Fontaine, un Vigny, un Lamartine, un Hugo, un Musset, un Baudelaire, un Verlaine, — j’en passe et des meilleurs — de ce que tous ces génies furent des hommes, et de ce que, en vérité, il n’y a pas un seul nom de femme qui puisse être mis en parallèle avec tous ces noms-là, peut-être, dis-je, les poètes concevront-ils à part eux un sentiment d’orgueil mal dissimulé. — Ils auront tort, ils auront grand tort. Ce n’est pas de l’assurance, du puffisme et du dédain qu’il faut maintenant pour conserver l’avance prise par les maîtres dans les siècles passés, mais du travail. Que l’on s’efforce de réaliser autre chose que ce que les anciens réalisèrent si bien. Rajeunissons la poésie de l’homme. — Puisque la femme, depuis quelques années, foule la lisière de ce qui fut si longtemps le domaine des poètes, — ce lyrisme sentimental dans lequel ils s’exprimaient tout entiers, — il faut lui laisser le champ et courir sus à un autre idéal.
Dans cette vie moderne trépidante qui nous emporte d’un vertigineux élan, alors que l’action nous sollicite à toute minute, — et pendant que la femme s’attarde à l’analyse d’elle-même, car, émancipée d’hier, elle n’a pu faire encore le tour de son cœur ! — lançons-nous dans la tourmente et, délaissant les idylles antiques et les élégies romantiques, vivons la vie, toute la vie contemporaine et chantons-la sur des rythmes neufs et puissants qui lui conviennent.
Je sais bien qu’à l’heure présente, des poétesses de grand talent s’essaient avec énergie à sortir d’elles-mêmes. Elles cherchent à s’élever au-dessus de l’éternel conflit passionnel. Mais, encore qu’elles aient souvent réussi dans leur entreprise, il est évident — et l’on pourra s’en convaincre en parcourant cette anthologie — que là n’est pas la vraie voie de l’émotion féminine. Où la femme excelle, c’est dans la tendresse, dans l’expression de ses joies familières et surtout dans la narration douloureuse