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AGNÈS DE NAVARRE-CHAMPAGNE

DAME DE FOIX




Elle était fille de Philippe de France, comte d’Evreux, et de Jeanne de Champagne, fille de Louis X, le Hutin. — Par sa mère, Agnès descendait de Thibault IV, comte de Champagne, roi de Navarre… et poète. Et cela peut jusqu’à un certain point expliquer le penchant de cette princesse pour la poésie.

On ne connaît pas la date exacte de sa naissance que l’on place vers 1330. De sa jeunesse, on ne sait trop rien non plus, si ce n’est qu’Agnès passe pour avoir donné de bonne heure des marques d’une nature ardente. Elle devait avoir seize ou dix-sept ans, lorsqu’elle se lança dans une aventure des plus romanesques où Guillaume de Machault devait jouer le rôle le plus sincère encore qu’un peu naïf.

Guillaume de Machault était un très célèbre poète chansonnier. À l’époque où va se nouer l’intrigue machinée par la jeune princesse, Machault était déjà vieux, de plus, il était goutteux, contrefait et ne voyait plus que d’un œil. — Tout cela n’empêcha point Agnès d’entreprendre sa conquête… Il est vrai qu’elle ne l’avait jamais vu. D’ailleurs, qu’importe, c’était l’artiste qu’elle voulait séduire — et sa modeste enveloppe importait peu. Agnès fit donc savoir mystérieusement au glorieux poète, qu’une jeune princesse éprise de son renom, éprouvait pour lui la plus vraie des passions. Elle lui adressait même un rondeau flatteur qui était une déclaration non dissimulée. — De Machault, tout étourdi, se demande s’il rêve… malheureusement la goutte le cloue au lit. Que faire ? Il invoque la muse, et le voilà nouant une correspondance poétique avec la belle inconnue.

C’est ainsi qu’Agnès devint l’élève du vieux rimeur. Elle composa alors de nombreux rondeaux, ballades, lais et virelais dont son maître faisait la musique.

Un jour, elle lui écrit.

« Mon très doux cœur, je vous envoie un rondelet où votre nom est. Et je vous prie très amoureusement que vous le veuillez prendre en gré, car je ne l’eusse su faire, s’il ne venait de vous. »

Une autre fois, leurs relations s’étant ébruitées et Guillaume de Machault ayant en quelque sorte été forcé de communiquer à certains de ses amis des vers de la princesse, celle-ci lui mandait encore :

« Il me plaît très bien que vous leur en ayiez envoyé, car je veux bien que Dieu et tout le monde sache que je vous aime et m’êtes plus cher qu’homme qui aujourd’hui vive, et je me tiens pour mieux parée et pour plus honorée de votre amour que ni roi ni prince qui sont au monde. »

Il ne faudrait pourtant pas se laisser prendre aux mots. Malgré toutes les apparences contraires, il semble bien, en fin de compte, que cette aventure, d’ailleurs assez confuse, ne passa jamais les limites permises à la vertu. Ce qui avait conduit Agnès à sourire tendrement au vieux trouvère, c’était son goût pour la poésie, son désir d’être initiée à l’art de rimer joliment le rondeau ou la ballade. Quant à aimer d’amour l’infirme