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Page:Ségur - Jean qui grogne et Jean qui rit.djvu/189

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il y a quelque chose dans cette bonne action que je ne puis pas définir, mais qui me va au cœur, qui me touche, qui m’attendrit, qui annonce un cœur tout d’or. Ah ! que la femme et les enfants de cet excellent homme sont heureux ! S’il est si bon, si attentif, si généreux pour deux pauvres garçons étrangers qu’il a à peine aperçus et qui ne le connaissent seulement pas, que doit-il être pour sa famille, pour ses enfants ?… »

Jean couvrit son visage de ses mains ; M. Abel le regardait.

Après un instant de silence, Jean continua :

« Il n’y a qu’une chose qui nous peine, Simon et moi, c’est de ne pouvoir lui témoigner notre reconnaissance, notre vive affection. Cela fait vraiment de la peine, monsieur ; c’est comme un poids pour le cœur. »

M. Abel ne mangeait pas ; il avait écouté avec un attendrissement visible l’élan passionné de la reconnaissance de Jean. Il ne l’avait pas quitté des yeux un instant. Il admirait cette jolie figure embellie encore par l’expression d’enthousiasme qui éclairait son regard. Il était surpris du langage devenu presque éloquent de ce pauvre petit paysan, qui, peu de mois auparavant, avait le langage commun de la campagne.

Jean ne parlait plus, et M. Abel le regardait encore. Jean, de son côté, ne pensait plus ni au café ni à son service ; dominé tout entier par sa reconnaissance, il restait immobile, les yeux humides,