Page:Ségur - Jean qui grogne et Jean qui rit.djvu/33

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mon petit Jean. M. le curé y a mis aussi sa pièce. »

Jean voulut remercier, mais les paroles ne sortaient pas de son gosier ; il embrassa sa mère plus étroitement encore, sanglota un instant, s’arracha de ses bras, essuya ses yeux, et se mit en route comme son frère le sourire sur les lèvres, et sans tourner la tête pour jeter un dernier regard sur sa mère et sur sa demeure.

« Je comprends, se dit-il, pourquoi Simon marchait si vite et ne se retournait pas pour nous regarder et nous sourire. Il pleurait et il voulait cacher ses larmes à maman. Pauvre mère ! elle ne pleure pas ; elle croit que je ne pleure pas non plus, que j’ai du courage, que j’ai le cœur joyeux, tout comme pour Simon. C’est mieux comme ça ; le courage des autres vous en donne : je serais triste et malheureux si je pensais que maman eût du chagrin de mon départ. Elle croit que je serai heureux loin d’elle… Calme, gai même, c’est possible ; mais heureux, non. Sa tendresse et ses baisers me manqueront trop. »

Pendant que Jean marchait au pas accéléré, qu’il réfléchissait, qu’il se donnait du courage et qu’il s’éloignait rapidement de tout ce que son cœur aimait et regrettait, Jeannot le suivait avec peine, pleurnichait, appelait Jean qui ne l’entendait pas, tremblait de rester en arrière et se désolait de quitter une famille qu’il n’aimait pas, une patrie qu’il ne regrettait pas, pour aller dans une ville qu’il craignait, à cause de son étendue, près d’un cousin qu’il connaissait peu et qu’il n’aimait guère.